Préambule

** Il y a des choses que l’on ne voit pas et qui appartiennent pourtant à la réalité. Ce sont les invisibles. Qu’il s’agisse de les documenter, les mémoriser, les transmettre ou les interpréter, dans un contexte scientifique, technique, éducatif ou artistique, il semble que nous avons constamment tenté de les représenter sous forme visuelle. Ce glissement de phénomènes de leur médium vers un autre, cette aspect de la modélisation du réel qui consiste à rendre visible l’invisible, est ce qui nous intéressera ici. Tentons de voir comment et pourquoi, par quels moyens graphiques et dans quels buts, ont lieu ces traductions vers le visible. Pour tenter d’y répondre, on survolera de nombreux exemples avant d’en approfondir certains plus en détails ; commençons cependant par quelques hypothèses et constatations d’ordre général. **

Les limites de l’invisible

Un invisible peut être un phénomène qui se produit dans la réalité physique, mais que l’on perçoit par d’autres sens : sons, musique par extension, odeurs ou saveurs. Ça peut être une manifestation visible mais trop passagère et éphémère pour laisser une trace fixe, comme le mouvement. Il peut s’agir aussi de présences physiques, comme le temps ou les forces gravitationnelles. Ce qui se passe dans l’esprit peut s’y inclure aussi : pensées, idées, émotions — et ce qui en découle : langage, comportement, etc.

Le champs des invisibles est très large, et une grande partie d’entre eux ont tenté d’être visualisés. La portée de cette publication ne peut cependant pas s’élargir autant ! On se concentrera plutôt sur une portion d’entre eux avant de se focaliser précisément sur un seul, sans jamais oublier pourtant que cette délimitation, si elle est pratique, est fictive : la visualisation de l’invisible est un sujet extensible à l’infini.

Différents types de visualisation

En collectant des visualisations, il me semble avoir pu en différencier quatre types. Je vais tenter de les définir ici. S’il ne s’agit que d’hypothèses de définitions, ces quatre familles me paraissent pouvoir prendre en compte la variété de visualisations que l’on va rencontrer par la suite. Elles portent sur le comment, et non sur le pourquoi.

La représentation tente de modéliser graphiquement le phénomène, d’une manière qui permet de le comprendre et de l’interpréter. Elle ne permet cependant pas de le reproduire, simplement d’en avoir une idée.

La notation va plus loin. Elle est plus précise, et est souvent composée d’un système de signes ou d’alphabet. Son but, c’est la réversibilité. Une fois le phénomène traduit en notation graphique, il est possible de le répliquer en relisant la visualisation. Mieux encore, la notation peut être réalisée avant même tout phénomène, et être écrite en vue de le faire exister.

L’interprétation, au contraire, est plus floue. C’est une visualisation souvent subjective, souvent incomplète, s’intéressant parfois plus à l’effet produit par le phénomène qu’au phénomène lui-même. Elle semble surtout utilisée dans les démarches artistiques.

L’enregistrement est la visualisation obtenue par un système traduisant par automatisme le phénomène invisible vers une forme visible. Si elle est à la limite du thème, où j’aimerais m’intéresser davantage aux méthodes de visualisation conscientes et humaines qu’aux retranscriptions mécaniques, l’enregistrement semble cependant être à la source de plusieurs systèmes de visualisation, et permet souvent de s’intéresser dans un premier temps à la forme visuelle la plus pure et réaliste du phénomène, transcrit directement d’un médium à un autre sans intervention humaine.

Réversibilité

Une note rapide sur la notion de réversibilité.

Certaines méthodes de visualisation permettent non seulement de modéliser de manière visible un phénomène, mais permettent aussi et surtout de le reproduire. La notation et l’enregistrement semblent les deux méthodes les plus aptes à la réversibilité, mais à des degrés moindres on peut imaginer d’autres visualisations n’empêchant pas la réplication, même partielle, du phénomène original.

Toutefois, la réversibilité semble souvent être la raison pour laquelle le système de visualisation la permettant est conçu en premier lieu.

Exemples : l’enregistrement d’un son permet de reproduire le son pourvu que l’on dispose du matériel approprié. La partition d’un morceau de musique est écrite dans le projet de pouvoir reproduire le morceau ensuite. Est-ce qu’un tableau visualisant une émotion permet de reproduire l’émotion ? Possible.

Synesthésie

La synesthésie est une singularité neuronale qui consiste à tendre inconsciemment des ponts entre plusieurs sens. Un synesthète peut ainsi faire des connexions mentales entre mots et saveurs, jours de la semaine et personnalités, son et toucher, ou — pour celles liées à la vue — musique et couleurs, graphèmes et couleurs, musique et formes, nombres et position spatiale.

Les artistes synesthètes sont à l’origine d’œuvres transcrivant visuellement des phénomènes qui ne le sont pas.

Par extension, on utilise aussi le terme de synesthésie pour désigner l’association, même consciente et artificielle, de plusieurs médiums répondant à des sens différents. D’une certaine manière, les systèmes de visualisation présentés dans les pages qui suivent peuvent être qualifiés de synesthétiques.

Pourquoi

Si on s’interrogera sur le comment, c’est aussi intéressant de se demander pour quelles raisons visualise t’on ces phénomènes invisibles. Au delà des motifs spécifiques relatifs à des pratiques — science, éthologie, enseignement, art, documentation et ainsi de suite — pourquoi rendre visible des phénomènes que l’on peut par ailleurs percevoir parfaite-ment d’autres façons ? Il est simplement possible que le sens de la vue soit celui que nous favorisons le plus. Qu’on l’ait plus développé ou qu’il nous soit juste plus confortable, il est certain qu’il nous semble facile de comparer, mémoriser, répliquer, transmettre, stocker et archiver des informations disponibles dans une forme visuelle.

Approche

Après ces quelques considérations générales, avançons vers des exemples plus précis. On fera d’abord un tour d’horizon de quelques invisibles et de leur représentation avant de zoomer de manière plus détaillée et analytique vers la visualisation du son suivie de près par celle de la musique, phénomène et pratique qui serviront d’exemples à cette notion.

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